« Vous devriez être en train de manger. Et Miss Ryan devrait pouvoir aussi se restaurer. Allez, filez. »
Freya leva brusquement la tête de son registre, surprise d'entendre la voix de Cora, et surtout de l'entendre parler aussi sèchement à des élèves. D'abord choquée, elle ne dit rien, mais croisa le regard des deux élèves. Ils étaient figés, attendaient certainement une parole de la bibliothécaire. Mais elle haussa les épaules et ils commencèrent à ranger leurs affaires. Je leurs fis signe de laisser les livres, qu'ils pourraient revenir plus tôt.
"Hé bien, Cora ? Quelque chose ne va pas ?
_Tu avais vu ce que cette peste a mis dans son journal ? Je ne peux pas laisser passer cela Freya ! Je t’assure qu’elle mérite une sanction ! Elle a de la chance de ne pas être dans sa salle commune car elle aurait déjà tâté de ma baguette. »
Freya blanchit. Alors donc Cora n'avait lu le fameux journal qu'aujourd'hui... Cela faisait plusieurs semaines qu'elle était dans l'expectative, à attendre un signe. Les élèves jasaient et elle se sentait atrocement mal à l'aise. Cora n'avait pas changé de comportement... En voilà la raison. Et maintenant que sa meilleure amie fulminait, Freya se disait que finalement, le temps à attendre n'était pas du luxe, ça allait être dur à rattraper.
Freya ressentait une animosité particulière envers Sutton Skeeter. D'un côté, elle lui en voulait d'avoir balancé des informations pareilles dans son journal. Mais d'un autre côté... Ce n'était qu'une gamine avide de potins. Une gosse qui aurait le temps de grandir, de changer. Freya ne désespérait pas d'un jour parvenir à lui donner d'autres centres d'intérêts.
Cependant, les élèves entendaient parfaitement ce que disaient Cora et ils allaient encore plus lentement qu'au départ, quand ils étaient inquiets. Encore des potins... Freya ne voulait absolument pas alimenter cette machine infernale qu'étaient les rumeurs dans cette école. Tout allait tellement vite, tout se déformait à une vitesse hallucinante ! Leur conversation allait probablement bientôt devenir une déclaration d'amour enflammée ou une dispute conjugale... Non. Freya allait leur dire de partir plus vite, quand la professeur fut plus rapide.
« Je vous ai dit de partir ! Deux heures de colle à nettoyer les chaudrons du professeur Blackwhole, ça vous tente ? Ou alors je peux aussi vous faire nettoyer ce que les créatures magiques ont laissé par terre !
_Cora, voyons !... »
Freya avait chuchoté ses paroles, afin que Cora ne se mette pas à hurler encore plus. Le sursaut monumental qu'elle avait eu lors du rugissement de son amie avait fait s'emballer son coeur, et elle voulait tout de même éviter que la Bibliothèque devienne un endroit honni car Cora avait menacé des élèves...
Les élèves partirent encore plus vite. En quelques secondes, c'était plié. Alors, Freya attrapa le bras de Cora et l'installa à une table. Il fallait impérativement qu'elle redescende de quelques étages, auquel cas Sutton ne serait probablement pas dans un excellent état d'ici la fin de la journée. Et Freya avait appris la leçon : tout ce qu'elle pourrait dire ou faire serait un assentiment envers cet article.
"Allez, Cora, détend-toi... Ca va bien se passer. Un thé ?"
Posant la question plus pour se donner contenance, Freya passa une commande de thé chaud auprès des elfes par la cheminée. Puis, enfin, elle s'assit à côté de Cora afin d'apporter une présence rassurante en attendant les boissons - les elfes étaient encore en plein rush de cuisine.
"Tu viens donc de lire l'article de cette Skeeter ? Tu en as mis du temps... J'ai eu la joie de tomber dessus le jour de sa sortie, alors que l'auteur était en face de moi."
Freya repensa à sa propre réaction, complètement ridicule et indigne de l'adulte responsable qu'elle tentait de représenter en ce haut lieu d'éducation. Elle avait bafouillé, crié, pour finalement donner du grain à moudre à la pseudo-journaliste. Sutton avait dû totalement jubiler...
La seule solution à présent était de calmer le jeu. C'était indispensable. Mais c'était aussi une torture. Depuis le temps, Freya avait réfléchi à ses propres sentiments, à ses désirs. Oh, elle mourrait d'envie de prendre Cora dans ses bras et de l'embrasser. Elle rêvait de lui faire des choses que la bienséance interdit de décrire ici. Mais parler d'amour... Freya n'osait pas le faire. Elle se sentait totalement pathétique, idiote d'avoir gardé pour elle pendant vingt ans tout ce qu'elle avait pu ressentir pour sa meilleure amie.
Elle avait l'impression d'être dans un mauvais roman à l'eau de rose moldu. Le cercle typique : on est amoureux de son meilleur ami et on ne peut pas le dire, par peur de tout jeter en l'air. Elle craignait de devoir se déclarer, de n'obtenir qu'une fin de non-recevoir et finalement devoir rester seule, toute seule... Elle repensa à Zacharia. Comment continuer à le voir si Cora d'un autre côté la rejette ? Elhenna aussi... Non, elle n'aura plus personne. Elle n'aura plus de vie, plus de souffle, si sa pierre angulaire, Cora, devait mettre de la distance entre elle.
Alors Freya tenta de calmer le jeu, de faire en sorte que cette Sutton Skeeter ne fouille pas trop et ne découvre rien. Surtout qu'elle ne découvre rien sur la principale raison qui l'avait fait décrocher de son métier d'historienne. Elle devait faire attention, c'était important...
"Cora, très honnêtement, tu aurais vraiment jeté un sort à une gosse qui a le tier de notre âge ? Elle ne peut pas nous causer de tort, ce n'est qu'une petite journaliste de rien du tout. Et puis, d'ici quelques temps, ce sera totalement tassé !"
Freya sourit à Cora afin de lui montrer qu'elle pouvait croire ce qu'elle diait. Pourtant, Freya ne croyait pas une seule seconde à ses parents. Mini Skeeter avait sa mère, qui n'avait toujours pas été assassinée au coin d'une ruelle. Si quoi que ce soit était avéré, ce n'était pas seulement dans la Gazette de Poudlard qu'elle finirait mais bien dans la Gazette du sorcier... Et là ce ne serait pas aussi simple.